« Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir », disait René Char. Peut-être que je m’obstine, moi, à fabriquer des souvenirs pour que cette vie ne s’achève pas. Elle n’est qu’une succession de souvenirs édifiée avec les erreurs, écrite en pleins et déliés avec des fautes et des ratures. Les hommes s’écrivent. Ils écrivent leur histoire, certains, prolixes, jubilent devant la page blanche, mais s’essoufflent avec les siècles. D’autres, jusqu’à l’épuisement, noircissent les feuilles de haine et de rancoeur avec la rage de l’impuissance. Beaucoup écrivent leur vie comme un brouillon sans se relire, jamais, alors que d’autres l’écrivent si soigneusement qu’ils oublient de la vivre. Parfois, un auteur désespéré pose des mots d’amour, une belle phrase qui lui donne l’espoir d’un livre éternel. Mais soudain un orage survient, une valse ivre de pensées, et l’auteur renoue des lignes sans verbes, des mots abrupts, sans couleur. Il é-crie sa douleur dans la quête toujours vaine du mieux-être, une quête extérieure dans l’apparent visible qui laisse, en soi, obscurément, la prodigieuse lumière. »