Papillons de mots

« A l’enfant que je n’aurai pas »

« A l’enfant que je n’aurai pas »
Linda Lê
NiL Editions, 2011, Collection Les Affranchis

Cet ouvrage vient de recevoir le Prix Renaudot Poche 2011 mais ce n’est pas pour cela que mon regard s’est posé sur lui.

Je prends le train tous les jours et au cours de la semaine qui vient de s’écouler, j’ai raté un de mes trains. Le suivant me laissait avec un temps d’attente certain. Mon humeur n’était à lire aucun des ouvrages que j’avais alors dans mon sac, ni à écrire. Je suis donc allée faire le tour de la boutique Relay de la gare. Et tout à coup, mes yeux tombent sur ce titre « A l’enfant que je n’aurai pas ». Mon coeur manque un battement et je m’en approche. Je m’en saisis et je feuillette les premières pages, le coeur battant la chamade cette fois-ci, à la recherche d’un indice. Pourquoi ne l’aura-t-elle pas ? Est-ce un enfant qu’elle a perdu ou un enfant qu’elle a décidé de ne pas avoir ? J’ai la réponse dès les toutes premières lignes : elle a décidé de ne pas avoir d’enfant. Je ne me pose pas de question, je le prends, je le paye et je l’emporte. Je ne connais pas du tout Linda Lê mais je sais que cet ouvrage aura forcément de l’intérêt pour moi : j’ai fait le même choix qu’elle et en plus j’ai écrit un recueil de poèmes sur ce choix et l’ai dédicacé à l’enfant que je n’aurai pas non plus. Elle, elle lui a écrit cette longue lettre …

Avant de poursuive, deux mots sur la Collection Les Affranchis de NiL Editions. C’est une collection qui invite les auteurs à « écrire la lettre qu’ils n’ont jamais écrite ».

Linda Lê a donc adressé cette lettre à l’enfant qu’elle a décidé de ne pas avoir. Cette lettre est un récit autobiographique où elle raconte son enfance, son adolescence et sa vie adulte d’écrivain désillusionné. Je ne veux pas déflorer l’ouvrage pour ceux qui vont le lire, mais on apprend donc la relation conflictuelle avec la mère, l’absence du père, la confrontation avec S., cet homme qu’elle a aimé, qui voulait un enfant d’elle et qui finira par partir. On apprend la place exclusive de l’écriture dans sa vie, écriture et forge des mots qui ne laissent d’espace à rien d’autre. On apprend aussi les troubles psychiques, la dépression, les crises de paranoïa et les internements, notamment après le départ de S.

C’est une lettre au rythme singulier, presque respiratoire, à la fois ample et court. Il suit la logique du récit. En effet, au début de la lettre, Linda Lê explique à cet enfant qui ne naîtra pas les raisons de son choix, de façon un peu rebelle et anticonformiste, refusant de s’adapter aux moules de la société. Puis, au fur et à mesure, le ton se fait moins véhément, plus apaisé pour devenir serein, délivré.

Même si mon expérience personnelle est très différente de celle de Linda Lê, je me suis forcément retrouvée dans cet ouvrage. Et je suis aussi tombée amoureuse de la plume de Linda Lê. Elle est à la fois sobre et riche, juste, concise et percutante. J’ai lu cette lettre d’une seule traite.

J’avoue que cet ouvrage m’a également rassurée. « Choisir c’est se priver du reste ». Et tout en ressentant profondément que je ne souhaite pas d’enfant, je ne peux m’empêcher par moment d’avoir des doutes pour l’avenir : ai-je bien raison de ne pas me forcer un peu ? Ne vais-je pas regretter plus tard ? Mais il se trouve que je ne peux pas hypothéquer ma vie d’aujourd’hui sur d’éventuels regrets à venir. Quels que soient les choix que l’on fait dans cette existence, il y a toujours des doutes et parfois des regrets. Mais faire un enfant est une décision grave qui a une incidence sur sa propre vie mais surtout sur celle d’un être qui ne fait aucun choix de venir au monde. Linda Lê a écrit cette lettre dans sa 47ème année (rédaction achevée en juin 2010). Un âge auquel on peut commencer à avoir des regrets par rapport à ce type de choix. J’ai été rassurée de lire que même si pour elle, « La mise au jour d’une fiction n’équivaut pas à l’éclosion en soi d’un germe de vie », elle n’a aucun regret concernant son choix car il n’y a tout simplement pas de place dans sa vie pour un enfant et qu’elle ne s’est jamais imaginée en mère, même alors qu’elle était encore une toute jeune fille :

« Déjà, à l’époque, je me jurais de ne jamais être mère, pour ne pas donner à mes enfants l’éducation que j’avais reçue. »

« … je ne passais pas devant une maternité sans frémir, le spectacle des femmes enceintes me renvoyait un miroir dans lequel je ne voulais pas voir se refléter mon avenir. »

Je disais donc que l’apaisement et la sérénité de la fin de l’ouvrage m’avait rassurée. Je suis désormais parvenue à cet état d’apaisement par rapport à ce choix que j’ai également fait et je me retrouve complètement dans ce qu’écrit Linda Lê à la fin de sa lettre et c’est rassurant de savoir qu’elle connaît cette sérénité à 47 ans :

« Même maintenant que je suis plus paisible, que les coups de folie sont du passé, j’ai souvent une pensée pour toi, non parce que je souffre de ton absence, ni parce que je fais amende honorable, confessant mes erreurs d’aiguillage, mais parce que, dans les plis de mon être, tu fais partie de moi. »

« A mesure que je mène à terme cette lettre, dont tu n’es pas l’unique destinataire, car je m’adresse aussi à toutes celles qui se sont dispensées de se conformer aux lois de la nature, je me déleste d’un poids. Tu me régénères, tu m’es plus proche que jamais, toi l’enfant que je n’aurai pas. Ces lignes sont une offrande, tu vogues sur un esquif de papier, mais pour moi tu n’es pas une fantasmagorie, tu existes, tu es doué de vie. »

Puisque cette lettre est aussi adressée à « toutes celles qui se sont dispensées de se conformer aux lois de la nature », donc à moi, j’en remercie fortement Linda Lê car cette lettre m’a fait du bien. Beaucoup. Je la remercie d’avoir osé l’écrire et de ne pas l’avoir laissée au fond d’un tiroir.

C’est le genre d’ouvrage qui est réconfortant lorsque l’on fait ce type de choix. Même si pour ma part, le mot « choix » ne s’applique pas vraiment. Je n’ai simplement pas de désir d’enfant et mon seul choix se réduit à ne pas me forcer à en avoir. C’est parce qu’il est réconfortant pour d’autres de lire ce genre de témoignage que j’ai décidé il y a trois ans de publier mon propre ouvrage sur la question. Je travaille depuis à la mise au jour de ce recueil avec une complice qui m’est chère et nous ne devrions plus trop tarder à vous le livrer. Mais c’est aussi important que des personnes non concernées par ce choix lisent ces témoignages pour que la compréhension, la tolérance et l’acceptation adviennent.

J’ai cependant un petit regret, c’est que cette lettre « A l’enfant que je n’aurai pas » ait été écrite par une femme qui a une relation conflictuelle avec sa propre mère, a du mal à accepter sa propre féminité et présente quelques troubles psychiques. Ce sont des caractéristiques qui sont souvent présentées par les psychologues comme des « motifs » au choix de ne pas être mère. Pour ma part, je pense qu’il n’y a pas forcément de motif, ni de raisons à ce choix, si ce n’est l’absence de désir d’enfant. Et cette absence de désir n’a pas forcément à être motivée, expliquée. Chercher une cause à cela, c’est déjà quelque part, considérer que ce n’est pas normal … Dans mon cas, j’adore ma mère, mes deux parents ont couvé mon enfance qui fut des plus heureuses, je vis pleinement ma féminité et il y a encore quelques années, je pensais que je serais mère, je n’ai subi aucun traumatisme, mais l’envie d’enfant ne se déclare pas. Et il y a plusieurs facteurs externes qui ne l’encouragent certainement pas à se déclarer.

Ceci étant dit, ce regret n’enlève aucune force au témoignage de Linda Lê. Et je vous en conseille la lecture, que vous soyez maman ou pas, que vous souhaitiez le devenir ou pas.

Excusez-moi pour cette note de lecture un peu longue mais vous vous en êtes aperçus, le sujet me tient à coeur !

A consulter également :

La présentation de l’ouvrage par l’éditeur

L’article « Ras le bébé » concernant cet ouvrage de Linda Lê dans Libération

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