Tableau de Fabienne Arietti
Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance et le plaisir de participer à la très belle manifestation « Femmes noires et résistances » organisée par la Fondation du Mémorial de la Traite des Noirs, dans le cadre de la célébration du 10 mai, Journée nationale de commémoration de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions.
C’est dans ce cadre que j’ai ressenti de magnifiques coups de coeur nègres ! Nègre au sens de la Négritude, de Césaire, Nègre au sens péléen, volcanique, sulfureux, irrévérencieux, incandescent du terme ! Des coups de coeur nègres-arcs-en-ciel ! EÏA pour ces grandes dames :
Dans ce quatuor, il y a d’abord un trio constitué par les soeurs Kanor. Je les cite dans l’ordre alphabétique de leurs prénoms car elles sont toutes aussi talentueuses les unes que les autres !
EÏA pour Fabienne Kanor :
Lecture « Dix femmes de paroles » Bordeaux, 9 mai 2014
Photo : Sandra Louison
Au cours de l’Après-midi de la Liberté du 10 mai, Fabienne Kanor nous a parlé de son ouvrage Humus.
Il s’agit d’une pièce de théâtre basée sur une histoire vraie. En visitant une exposition à la Maison des Esclaves de Gorée, Fabienne Kanor lit une phrase qui retient son attention. Cette phrase relate le geste de 14 femmes qui avaient été embarquées sur un navire négrier nantais, « Le Soleil », et qui le jour du départ du bateau, en un seul mouvement se sont toutes jetées à l’eau du haut de la dunette. Après des recherches dans les archives de Nantes, Fabienne Kanor écrit ce texte en s’attachant aux histoires (imaginées) de chacune de ses femmes, aux petites histoires dans la grande Histoire …
De nouveau, le chemin. Faire route jusqu’au bout du pays. Là où il n’y a plus rien devant, plus rien après, sauf la mort.
Les bois se retirent. Le vivant hésite. En vain, je guette l’empreinte des derniers phacochères. Seules chantent nos chaînes. Crisse la terre, jonchée de minuscules coques rousses et blanches. Les porter tout contre l’oreille enseigne. Un vent violent y siffle, celui-là même qui à présent souffle et fouette la peau. Sous un soleil aux rayons hérissés, éclate alors l’accablant paysage. Un plat pays bordé par la lagune, où se balancent, sans grâce ni mesure, des arbres aux rames hommasses, d’un charnu insolent. Hirsutes, et comme échappées de l’enfer, grouillent des plantes au redoutable piquant. Des nuées d’insectes y ont élu domicile, qui forment une fumée noire et bourdonnante.
Faire doucement est ici nécessité. Un captif l’apprend à ses dépens qui, trempant ses pieds dans l’eau des marais, perd aussitôt l’équilibre. À l’aide ! L’homme s’agite. En vain. Deux monstres déjà se le disputent, de leur queue le malmènent avant de refermer leurs crocs sur ce qui reste du malheureux. Épouvantés, nous sondons les fonds, croyant apercevoir à chaque remous de l’eau, entre les feuilles des palétuviers, l’ombre redoutable d’un caïman.
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EÏA pour Isabelle Kanor :
Cenon, le 10 mai
Photo : Sandra Louison
Isabelle Kanor a organisé et géré avec brio une majorité des évènements de la manifestation « Femmes noires et résistances ». Elle a mis en scène la lecture « Dix femmes de paroles », après nous avoir toutes convaincues, nous lectrices, d’y participer, et nous avoir donné la confiance et le courage pour le faire ! Ce n’était pas forcément évident. Ce fut une belle réussite, un de mes meilleurs souvenirs de cette année, j’ai encore énormément de frissons d’émotion en y repensant.
Bordeaux, 9 mai 2014
Photo : Sandra Louison
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EÏA pour Véronique Kanor :
Photo : Sandra Louison
Combien de solitudes est un état des lieux à la fois désenchanté et plein d’espoir de la Martinique. Tour à tour Véronique gifle et embrasse son île. Et elle dit et écrit les mots tels qu’ils doivent être entendus, sans chercher à enjoliver ce qui ne doit pas l’être. C’est à la fois cru et délicat. Violent et ciselé. Et Véronique m’a fortement impressionnée tout au long de sa performance, pleine d’une présence tellement douce et puissante !
« Depuis mille ans, j’héberge une île. Je n’ai pas eu le choix, à vrai dire. Elle m’habitait bien avant que mon corps ne m’habite. Je luis disais : Vas-y, fous le camp avec tes volcans mal éteints. Je lui balançais du gros sel. Je ne voulais pas d’elle. Je voulais London, la lune. Je voulais loin et des territoires sans papa ni manman….Je suis née ici moi. Je suis née en France. Je suis née ici, entre la place Jeanne d’Arc et le boulevard du général-de-Lattre-de Tassigny. Dans mon carré, il y a aussi l’hiver et je pars chasser des bonhommes de neige. Il y a le monde et je bois du thé à la menthe et je danse le tango et je dis : turn to the left et go straight on, au touriste du coin. Il y a la ville et je pars chasser des bonhommes de ville. Mais sous mes airs de conquistadors, je suis immobile, si éphémère. Je suis grosse de l’exil des miens. J’ai cru pouvoir avorter leur île. Avorter la peau sous le costume, la peau de singe et le chagrin…Avorter la mémoire.
J’ai cru pouvoir avorter le sang, la chair, les os, les chez-nous-on-dit-que, l’idée d’un retour, que l’on refuse parce que l’on se croit majeur, libre, homme ou femme volontaire. J’ai cru être bien d’ici, entre la place et le boulevard. J’ai cru être bien ici. Je n’attendais que mon tour. Ce qui est en soi nous oblige tôt ou tard. »
Photo : Sandra Louison
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EÏA pour Anouk Goulière :
Photo : Sandra Louison
Les toiles d’Anouk ont accompagné les évènements de la manifestation en exposition itinérante. Anouk peint de magnifiques et majestueuses femmes noires, des femmes qui s’affirment et jouent avec l’oeil de celui qui les observe … J’ai beaucoup aimé son regard et ses couleurs. Voici mes préférées :
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Enfin, alors que je viens d’apprendre le départ de Maya Angelou, grande femme debout, poète et militante des droits civiques, je profite de cette note de blog pour lui adresser un vibrant EÏA !
The free bird leaps
on the back of the wind
and floats downstream
till the current ends
and dips his wings
in the orange sun rays
and dares to claim the sky.
But a bird that stalks
down his narrow cage
can seldom see through
his bars of rage
his wings are clipped and
his feet are tied
so he opens his throat to sing.
The caged bird sings
with fearful trill
of the things unknown
but longed for still
and his tune is heard
on the distant hill
for the caged bird
sings of freedom
The free bird thinks of another breeze
and the trade winds soft through the sighing trees
and the fat worms waiting on a dawn-bright lawn
and he names the sky his own.
But a caged bird stands on the grave of dreams
his shadow shouts on a nightmare scream
his wings are clipped and his feet are tied
so he opens his throat to sing
The caged bird sings
with a fearful trill
of things unknown
but longed for still
and his tune is heard
on the distant hill
for the caged bird
sings of freedom.
Maya Angelou