Papillons de mots

Trois livres …

fragonard lectriceLa lectrice
Fragonard

Cela fait longtemps que je n’ai pas publié de note de lecture et pourtant je n’arrête pas de lire ! Et mon été fut particulièrement riche en livres. Mais le temps me manque parfois pour venir partager mes petits trésors avec vous. Je finis un livre, je le pose sur mon bureau en pensant en faire une note de lecture et puis le temps passe, je suis bousculée par un autre livre et je me dis que je vais plutôt parler de celui-là, etc. etc. (Un jour, je vous parlerai du rapport que j’entretiens avec ma pile de lecture).

Alors, exceptionnellement, aujourd’hui, je vais vous parler non pas d’un mais de trois livres qui ont marqué mon été :

La nuit spirituelle
Lydie Dattas
Gallimard, 2013 (texte rédigé en 1977)

Un texte poétique sur la femme, sur les femmes, sur la condition féminine. Un texte écrit en réaction au rejet de Jean Genet (« Lydie est une femme et je déteste les femmes »). Un texte extrêmement solaire à travers la métaphore de la nuit. Un texte dont je ne me suis toujours pas remise et dans lequel je passe souvent une partie de mes nuits …

« Je sais que nul n’essuiera de mon front le rouge de la honte, que la nuit la plus noire ne sera assez opaque pour résorber l’humiliation d’être une femme, que rien ne me délivrera de la tristesse humiliée de me savoir n’exister qu’afin de recevoir le sperme, de me savoir faite pour noyer en moi toute spiritualité. Car c’est bien en cela que consiste la malédiction : que toute spiritualité doive au sein de ma propre chair être résorbée, que toute transcendance y soit destinée à mourir. Je sais que rien ne rachètera le crime d’être une femme, puisque c’est l’appartenance même à ce sexe qui est maudite, puisque à chaque instant ce par quoi j’eusse pu être sauvée expire en moi, et qu’il me faut précisément vivre sa mort éternelle. »

Voir aussi une présentation de l’ouvrage sur Recours au Poème.

Chants de la graine semée
Gabriel Mwènè Okoundji
Ed. fédérop, 2014

Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de Gabriel Okoundji. Vous connaissez mon attachement à la voix, aux voix de cet auteur. J’ai été surprise par son dernier recueil, Chants de la graine semée. Il est très différent de tout ce qu’il a publié jusque là. La plupart des textes sont courts, voire très courts. Ils n’en sont pas pour autant, loin de là, moins riches. Oh non ! Au contraire. Concentrés, puissants, fulgurants !
Le recueil est divisé en sept parties, toutes relativement différentes les unes des autres. Je vous livre des extraits de mes deux chapitres préférés :

Extrait du chapitre « Chant de la graine du Sahara » :

Désert !
A l’aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc
il te nomma dès l’instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais par toi-même l’énigme et l’esprit du silence

Graine semée
Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu’est le silence

Extrait du chapitre « Pur salut » :

Tu me demandes :
– A quoi peut ressembler le visage du sage ?

Je te réponds :
– Sois toute chose sans toujours chercher le pourquoi.

Tu me demandes :
– Quel esprit, quel grand souffle composent son visage ?

Je te réponds :
– La sage a le visage que ton rêve fait naître à la parole.

Les papillons rêvent-ils d’éternité ?
Sandra Labastie
Ed. Michel Lafon, 2014

Voici un roman pour le moins singulier. Et pourtant, je vais vous avouer une chose : je l’ai choisi à cause du titre (« papillons ») et de la photo de couverture (l’envol de papillons monarques). Oui, il m’arrive de choisir un livre juste à cause de son « look » ou de l’odeur de ses pages. J’ai un rapport charnel avec tout ce qui est en papier …

Mais quand j’ai parcouru la quatrième de couverture, j’ai su que le contenu m’interpellerait. Notamment la dernière phrase de cette quatrième de couverture : « Le roman de Sandra Labastie explore la frontière très fragile où la croyance jouxte la folie »

Pour résumer rapidement, la narratrice est une jeune fille de 13 ans qui, avec ses parents, fait partie d’une « congrégation ». Le mot n’est pas écrit, mais il s’agit bien d’un mouvement apparenté aux Témoins de Jéhovah. La congrégation attend la fin du monde qui est prévue pour la fin de l’année. Alors, au long des saisons de ce qui est censée être la dernière année du monde, cette jeune fille raconte son quotidien entre les réunions avec les « frères et soeurs », les prêches, l’école, le début de l’adolescence.

A travers ce véritable journal, on se rend compte à quel point un sentiment religieux vécu en vase clos, au lieu d’être un guide, peut devenir une prison, voire devenir dangereux.

Tous les textes sont pris au pied de la lettre et la femme est désignée comme la responsable de tous les maux de l’humanité puisque c’est à cause d’Eve que l’homme et la femme ont été chassés du paradis terrestre. Il ne faut surtout pas étudier trop longtemps. Certains livres sont interdits et le rock est démoniaque. J’en passe.

Heureusement, la jeune fille découvre le dictionnaire et à travers sa lecture, l’existence d’un monde totalement différent de celui décrit par le pasteur et les sages de sa communauté. « Les femmes qui lisent sont dangereuses » n’est-ce pas ?

A ce sujet, pour moi, c’est aussi un livre sur les mots et leur pouvoir. Sur l’exploitation néfaste que peuvent en faire ceux qui les maîtrisent et savent comment les utiliser pour parvenir à leurs fins. Sur leur puissance consolatrice et rédemptrice lorsqu’on ose s’abandonner totalement à eux, les laisser parler eux et eux seuls.

Je ne saurais choisir un passage, un extrait à montrer ici. C’est un livre très particulier, pouvant paraître un peu décousu, qui ne fait pas l’unanimité sur les blogs de lecture. Je ne peux pas dire que je me sois attachée au personnage de la narratrice mais les mots m’ont happée et c’est un livre que j’ai dévoré très rapidement. Pour moi, chaque mot est à sa place et chaque passage a sa raison d’être. J’ai été à la fois saisie, glacée, émue.

La fin est lumineuse. « Il y eut un soir. Il y eut un matin » …

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