Jeudi 14 mai, jour de l’Ascension, la nation béninoise a perdu un de ses plus grands représentants. Je l’ai appris le lendemain et j’ai eu l’impression d’avoir perdu un grand-père …
Au-delà du grand homme de lettres, de l’homme de foi et du représentant religieux, Jean Pliya est le premier écrivain à avoir lu mes poèmes d’adolescente et à m’avoir encouragée dans cette voie. Il m’avait reçue chez lui et avait pris le temps de passer en revue avec moi chacun de mes textes, de me dire ce qu’il valait mieux garder pour moi, ce qu’il fallait encore retravailler. Toute une matinée. Et j’avais senti qu’il prenait plaisir à le faire. A transmettre. C’est un très joli souvenir.
« C’est au bout de l’ancienne corde qu’il faut tresser la nouvelle » (dans Les tresseurs de corde). Nous continuerons à tresser la nôtre aux fibres de la très riche corde qu’il nous laisse …
Voici ma bibliothèque Pliya (infime partie de sa bibliographie) :
Et en voici quelques extraits :
L’arbre fétiche
Editions CLE (Yaoundé, Cameroun), 1971
En effet, juste après le premier coude, à main gauche, il y avait un magnifique iroko, appelé encore loko, le chlorophora excelsa des botanistes. Le pied, invisible de loin, était entouré d’un fouillis d’arbrisseaux et de buissons, d’où s’élançait un fût puissant et droit comme une colonne de cathédrale, couronné par un feuillage vert sombre. Des lianes grosses comme des câbles s’entrecroisaient et tissaient un filet qui pendait du faîte jusqu’au sous-bois. D’énormes branches latérales disposées en arcade franchissaient en hauteur le sentier et y projetaient une ombre compacte.
A la vue de cet arbre, on ressentait malgré soi une impression de vénération.
Les tresseurs de corde
Editions Hatier (Paris), 1987
Collection Monde Noir
Extrait de l’avant-propos :
« C’est au bout de l’ancienne corde qu’il faut tresser la nouvelle », pour une évolution harmonieuse de la Société, dit la sagesse africaine. Comment opérer la suture pour que l’unique corde qui reliera les générations les unes aux autres ne se rompe pas ? Que faire pour que le point de jonction soit solide comme un noeud ? Et quelles sortes de cordes faut-il tresser ? Ces questions sont essentielles pour la plupart des peuples africains.
De temps en temps surgissent des cordiers qui proposent des réponses alléchantes. Et les cordes se déploient, admirables et vigoureuses. Puis vient un moment où elles se tendent, vibrent et menacent de casser. Et pourtant, il faut qu’on puise de l’eau pour que les hommes qui marchent harassés ne crèvent pas de soif à l’entrée de la terre promise.
Autre extrait :
Myriam se redresse, le pilon dans la main droite, les yeux rivés au sol, prête à parer une nouvelle attaque.
Un souffle de vent rabat sur Trabi le grisant effluve mêlé de sueur et de parfum qui rallume son désir, embrouille ses idées. Pourquoi donc la colère rend-elle si attirante cette femme qu’il a juré de respecter ? Il voit ses seins palpiter avec un doux mouvement de soufflet de forge. Dans le silence tendu, éclate, tout près d’eux, le gloussement affolé d’une poule traquée par un coq en chaleur. Myriam ne bouge pas. Trabi enlace son épaule ronde et fraîche. Un flot de sang se rue dans ses veines. Il accentue son étreinte. Sans lâcher le pilon, Myriam se dégage d’une pirouette, sa main gauche toujours retenue par Trabi. Son pagne glisse, dénude sa gorge.
Dernier extrait :
Tournant son regard vers la gauche, il découvre la splendeur d’un kapokier bombax, somptueusement paré, de la base à la cime, de fleurs rouge incarnat. Il le contemple longuement, et sourit, pour la première fois depuis des heures, comme si l’énorme bouquet incandescent qui frissonne au vent lui annonçait l’espoir et la joie.
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Merci à vous M. Pliya. Pour tout. Je continue à oeuvrer pour que se réalise le souhait de la dédicace que vous m’aviez si sympathiquement offerte il y a 20 ans maintenant …