Muriel Barbery
Gallimard, 2015
Ce n’est pas la première fois que je parle de Muriel Barbery et de ses ouvrages, ici comme sur mon ancien blog. La bibliographie de cette auteure n’est pas très longue mais elle est tellement dense, riche, poétique !
Je suis une passionnée de L’élégance du hérisson et je dévore avec délice Une gourmandise. Ils font partie des rares ouvrages que j’ai déjà lus et relus et relus, toujours avec un plaisir renouvelé.
J’ai lu La vie des elfes avec un plaisir différent, mais il m’a également offert de sublimes moments de lecture. Et je sais déjà que je le relirai aussi. Parce que la langue est belle, mais aussi, je l’avoue, parce que je n’ai pas tout saisi. Je crois bien que c’était voulu de la part de l’auteure !
Cet ouvrage est un OLNI, un objet littéraire non identifié ! On ne sait pas si c’est un conte, un roman, une parabole. On ne sait pas si on est dans la réalité, le fantastique, le merveilleux. Peut-être bien à la croisée de tous ces mondes.
Je ne vais donc pas m’attarder sur la présentation ni le résumé de ce livre. La quatrième de couverture elle-même annonce laconiquement : « Histoire de Maria et Clara, qui rencontrèrent les elfes ». Il y a cependant une expression qui apparaît sur la fin du livre et qui me semble bien être le « message » de l’oeuvre : « honorer l’unité du vivant » …
Ceci dit, je partage avec vous quelques jolis moments de lecture, en totale harmonie, en totale indivision avec le Vivant :
« Mais si vent et neige sculptent les gens de ces terres en arêtes de roche dure, ils sont aussi façonnés par la poésie de leurs paysages qui fait composer aux bergers des rimes dans les brouillards glacés des alpages et accoucher les tempêtes de hameaux suspendus à la toile du ciel.
Aussi la vieille femme, dont la vie s’était passée entre les murs d’un village arriéré, avait-elle dans la voix une soie qui lui venait des fastes de ses paysages. La petite en était certaine : c’était le timbre de cette voix qui l’avait éveillée au monde »
« La religion de la poésie, Maria la côtoyait pourtant chaque jour lorsqu’elle montait aux arbres et qu’elle écoutait le chant des rameaux et des feuilles. Elle avait compris très tôt que les autres se mouvaient dans la campagne comme des aveugles et des sourds auxquels les symphonies qu’elle écoutait et les tableaux qu’elle embrassait n’étaient que bruits de la nature et paysages muets. Quand elle parcourait ses champs et ses bois, elle était en contact permanent avec des flots matériels sous la forme de tracés impalpables mais visibles que lui faisaient connaître les mouvements et les radiations des choses, et si elle aimait aller en hiver aux chênes de la combe du champ voisin, c’est que les trois arbres aimaient l’hiver aussi et y esquissaient des estampes vibrantes dont elle voyait et sentait les touches et courbes à la manière d’une gravure de maître incarnée dans les airs. »
« [..]mon amour, j’ai marché trente ans sous le ciel sans jamais douter d’avoir vécu dans la gloire ; jamais je n’ai vacillé ; jamais je n’ai trébuché ; j’ai été, entre tous, ripailleur et gueulard, aussi stupide et futile que les moineaux et les paons ; j’ai essuyé ma bouche au revers de mes manches, entré au foyer avec la boue de mes pieds et roté plus d’une fois dans les rires et les vins. Mais j’ai tenu chaque heure la tête droite dans l’orage parce que je t’ai aimée et que tu m’as aimé en retour, et que cet amour n’a eu ni soie ni poèmes mais des regards dans lesquels se sont noyées nos misères. L’amour ne sauve pas, il élève et grandit, porte en nous ce qui éclaire et le sculpte en bois de forêt. Il se niche au creux des jours de rien, des tâches ingrates, des heures inutiles, ne glisse pas sur les radeaux d’or et les fleuves étincelants, ne chante ni ne brille et ne proclame jamais rien. Mais le soir, une fois la salle balayée, les braises couvertes et les enfants endormis – le soir entre les draps dans les regards lents sans bouger ni parler – le soir, enfin, dans les lassitudes de nos vies de peu et les trivialités de nos existences de rien, nous devenons chacun le puits où l’autre se puise et nous nous aimons l’un l’autre et apprenons à nous aimer nous-mêmes. »
Je vous invite également à lire cet entretien, très intéressant, avec Muriel Barbery, à l’occasion de la parution de cet ouvrage.