Americanah
Chimamanda Ngozi Adichie
Gallimard, 2014
Après avoir longtemps résisté à cet ouvrage (parce que je trouvais qu’on en parlait trop), j’ai fini par y succomber au début de l’été. J’ai passé la quasi totalité de mon mois d’août en sa compagnie. Cela fait déjà plusieurs semaines que j’en ai refermé la dernière page en me promettant de venir vous en parler. Mais je voulais le faire de façon un peu différente de tout ce qui a déjà été dit et sera encore dit sur ce roman intéressant à plus d’un titre.
J’ai décidé de vous en parler du point de vue de mon être sensible et non de mon être intellectuel. En effet, même si ce dernier a été largement stimulé par cette lecture (réflexion sur les préjugés des uns et des autres, destruction de clichés, ouverture de débats), il ne vous apprendrait ici rien de plus que ce que vous avez déjà pu lire ailleurs concernant ce roman. Mon être sensible a pour sa part été bien secoué, en particulier par les trois premières parties du roman car je m’y suis énormément retrouvée. Même si Ifemelu, personnage principal, est une Nigériane partie vivre aux Etats-Unis, le récit de son enfance et de son adolescence nigérianes a fait écho à mon enfance et à mon adolescence béninoises ; l’évocation de son arrivée aux Etats-Unis a réveillé les souvenirs de mon arrivée en France. Il y a eu tant de résonances ! Jamais oeuvre écrite ne m’avait autant déconnectée de la réalité, autant ébranlée !
Je vais donc, dans un premier temps, partager avec vous quelques extraits de ce délicieux pavé (520 et quelques pages tout de même !). Puis, je vous présenterai une tentative de « médiathèque » d’Americanah.
Extraits :
– Evocation de l’harmattan page 110 :
« A Lagos, l’harmattan était un simple voile de brume, mais à Nsukka, c’était une présence déchaînée, changeante ; les matins étaient vifs, les après-midis plombés par la chaleur et les nuits imprévisibles. Des tourbillons de poussière se formaient dans le lointain – très beaux à voir tant qu’ils restaient au loin – et tournoyaient jusqu’à ce qu’ils aient tout recouvert d’une pellicule brune. »
Nouvelle évocation page 167 :
« Les arbres resplendissaient, leur feuillage rouge et jaune teintaient l’air d’une lumière dorée, et elle se rappela ces mots qu’elle avait récemment lus quelque part : Le premier vert de la nature est d’or. L’air vif, parfumé et sec, éveilla en elle le souvenir de Nsukka durant la saison de l’harmattan, déclenchant une nostalgie si soudaine et si profonde que ses yeux s’emplirent de larmes. »
A moi aussi, à mon arrivée en France et jusqu’à aujourd’hui, les journées d’hiver froides, sèches et ensoleillées, me rappellent la saison de l’harmattan dans le Cotonou de mon enfance …
(Pour information « Le premier vert de la nature est d’or » est le premier vers du poème Nothing gold can stay de Robert Frost).
– Evocation des différences culturelles pages 148 & 149 :
« […] jusqu’au moment où Ifemelu comprit qu’on ne danserait pas : faire une fête dans ce pays consistait à rester debout et à boire. Tous en fringues élimées, polos avachis, les étudiants avaient l’air de porter des vêtements volontairement usés. (Des années plus tard, on lirait dans un post de son blog : S’agissant de l’habillement, la culture américaine est à ce point satisfaite d’elle-même qu’elle ne se contente pas de négliger la bienséance de l’apparence, mais a transformé cette négligence en qualité. « Nous sommes trop supérieurs/occupés/sympas/sans complexes pour nous préoccuper de l’apparence que nous offrons aux autres, et c’est pourquoi nous pouvons porter un pyjama à l’école ou des sous-vêtements au supermarché. ») »
Americanah est aussi une vaste « médiathèque » regorgeant de références littéraires et musicales, aussi bien nigérianes qu’américaines, britanniques ou indiennes. Ces références m’ont permis de découvrir de nombreux artistes et auteurs que je ne connaissais pas. Je retranscris ici l’intégralité de cette « médiathèque ». Elle comporte certainement des éléments que vous connaissez déjà, mais je suis certaine qu’elle vous ouvrira aussi de nouveaux horizons :
Auteurs et oeuvres littéraires :
– James Hadley Chase
– Graham Greene (notamment Le fond du problème & La fin d’une liaison)
– Le poème Ibadan de J. P. Clark
– James Baldwin
– William Falkner (Lumière d’août)
– Esiaba Irobi (poète)
– Yusef Komunyakaa (poète)
– Le monde s’effondre de Chinua Achebe
– A la courbe du fleuve de Vidiadhar Surajprasad Naipaul
– Mark Twain
– Evelyn Waugh (Retour à Brideshead)
– Ann Petry
– Gayl Jones
– Monk memoirs
– Robert Hayden
– Tourgueniev
– Trollope
– Goethe
– Selma Lagerlöf
– Derek Walcott
Musique :
– Fela Kuti
– Biggie
– Warren G
– Dr. Dre
– Snoop Dogg
– Onyeka Onwenu (notamment In the morning light)
– Yori Yori de Bracket
– Obi Mu O d’Obiwon
Voilà, j’espère que cette note de lecture un peu particulière vous aura plu. En conclusion, je voulais dire qu’Americanah est présenté comme une histoire d’amour. Certes, mais elle va au-delà de l’histoire d’amour entre Ifemelu et Obinze. C’est une déclaration d’amour aussi bien au Nigeria qu’aux Etats-Unis ; à notre humanité avec ses défauts et ses aspérités quel que soit le lieu de naissance ou de résidence ; à nos identités et sentiments complexes qui n’ont rien à voir avec nos couleurs de peau ou nationalités. C’est une histoire d’Amour avec un grand A, universelle.
Je ne résiste pas à clore cette note avec le bel afrobeat de Fela :
J’aime beaucoup l’idée de cette « médiathèque » que tu nous présentes… 🙂
Ah ça fait plaisir, car j’y ai passé pas mal de temps ! Mais c’est vrai que dès la lecture des premiers chapitres, j’ai eu envie de le faire. L’auteure nous ouvre tellement de portes sur les univers littéraires et musicaux qui accompagnent ses personnages qu’en quelque sorte pour moi, cette « médiathèque » est un personnage à part entière du livre !
Sinon, j’ai hâte de lire ta note de lecture à toi sur ce fabuleux « Americanah ».
Ah! un grand merci! Les personnages du roman sont très émouvants, et j’ai pu poursuivre mon voyage initiatique grâce aux albums que tu proposes, même une fois les dernières pages envolées. Un délicieux prolongement, encore merci !
Oh ben voilà qui me fait grand plaisir, Nadine. Je me suis beaucoup amusée à composer cette « médiathèque » même si c’était un peu fastidieux, et je suis contente qu’elle plaise. Merci.