Papillons de mots

Orkhidos

orkhidosOrkhidos
Stéphane Héaume
Zulma, 2004

C’est en compagnie de ce roman envoûtant et inclassable que j’ai passé les dernières semaines d’hiver. Je l’ai achevé assise au soleil sur un banc du jardin de la mairie de Bordeaux au cours d’une des toutes premières vraies journées printanières de la saison. Je l’ai refermé à regret, en sachant cependant que je reviendrai de temps à autre à lui, l’ouvrir au hasard sur une page, pour le plaisir de relire ce texte foisonnant, luxuriant. C’est un roman parfait pour le printemps …

Orkhidos est une cité lacustre, flamboyante et secrète. On y accède par l’Orkhid-Express, train luxueux qui traverse une immense forêts où fleurissent d’étranges orchidées … C’est une principauté prestigieuse, qui tient autant du mythe que du rêve – un rêve quasi inaccessible auquel va pourtant croire Véra Lovsky.
Fuyant son pays ravagé par la guerre, Véra vient à peine d’arriver à Old York, ville tropicale et crépusculaire, qu’elle se trouve entraînée, à la suite du vieux milliardaire don Winthrop Candell, dans un univers trouble et magnétique, sur les traces d’un mystérieux habitant d’Orkhidos.
(quatrième de couverture)

En fait, c’est un roman dont aussi bien le texte que les personnages vous glissent dessus, tel l’Orkhid-Express fendant la forêt d’Orkhidos. Tout est insaisissable. On ne parvient pas à savoir qui est qui. Le bal masqué commence dès les premières pages et les masques ne tombent qu’à la toute dernière page. Même si au départ, il ne semble exister qu’un seul tandem de jumeaux – Alpey et Almay de Pondishandor – tous les personnages sont des Janus en puissance.

Tout ceci dans un décor verdoyant, fastueux où le rêve et l’imaginaire sont cesse stimulés. Les scènes de vie mondaine convoquent une atmosphère oscillant entre l’adaptation cinématographique du « Temps de l’innocence » et celle de « Gatsby le magnifique ». C’est un texte qui parle, à la manière d’un conte, à l’enfant qui vit toujours en nous et ne veut absolument pas dormir ni s’en aller. Mais il a aussi des allures de roman fantastique ou de récit d’apprentissage. C’est un texte qui nous dit tout à la fois la nécessité et la fragilité du rêve. D’ailleurs, parfois, on ne devrait pas avoir de point final à écrire, on ne devrait pas avoir à se réveiller …

Bientôt l’armature métallique de la serre géante du Jardin Botanique creva l’horizon comme une araignée. […] Une forêt dans la ville. L’indomptable dans un enclos. A chaque bourrasque, des chevelures de mousse s’envolaient en tous sens. Des lianes insoupçonnées se déroulaient de toute la hauteur des catalpas et des frangipaniers. Des griffes lacérant la pluie. Au sol, des tournoiements d’épines faisaient de grands trous noirs. Les débris aspiraient les débris. Les arbustes tremblaient de toutes leurs feuilles, et les feuilles de toutes leurs veines. Racines déterrées. Fruits emportés. Câpriers battus par les vents. […] Dans l’obscurité mauve, les ramifications acérées des lataniers faisaient des têtes de dragons sifflantes. Ce qui le jour était radieux, sous l’orage devenait un mauvais songe.

J’ai découvert plusieurs mots que je ne connaissais pas au cours de cette lecture. J’aime beaucoup les livres qui m’apprennent de nouveaux mots. Et ceux que j’ai appris dans ce texte sont particulièrement beaux, poétiques. Comme « éphélide ». On dirait le nom d’une constellation, non ? Après tout, on peut voir des constellations dans les tâches de rousseur …

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