L’ire des marges, avril 2016
Le week-end dernier, le quartier Sainte-Croix de Bordeaux a été animé par la désormais traditionnelle Escale du Livre, festival des créations littéraires. Les propositions étaient légion, mais je vais vous parler ici de deux rendez-vous qui m’ont particulièrement interpellée/fascinée/touchée.
Premier rendez-vous dimanche matin, peu après mon réveil et petit-déjeuner, l’esprit encore « neuf » et « vierge » en ce début de journée, dans le joli lieu récemment rénové du Marché des Douves. J’assiste à une lecture à quatre voix qui est en fait la restitution d’une expérience/d’un dispositif littéraire qui s’est déroulé en septembre 2015 …
« Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction. »
Virginia Woolf
C’est en partant de cette phrase et de l’oeuvre Une chambre à soi de la même auteure que Sophie Robin, comédienne et metteure en scène, imagine une expérience littéraire à laquelle elle va convier Michèle Lesbre, Juliette Mézenc et Dominique Sigaud, avec la complicité de Sophie Poirier.
Elle invite ces trois femmes, vivant en-dehors de Bordeaux, à partager successivement la même chambre bordelaise pendant une semaine. Et au cours de cette semaine, elles ont, chaque jour, une balade bien déterminée à effectuer dans Bordeaux (le texte descriptif de ces balades nous a été remis en début de lecture, il est précis au pas près et extrêmement contraignant) mais aussi des personnes à rencontrer, et des rendez-vous/échanges avec un public dans des bibliothèques.
A la fin de leur séjour, elles devaient remettre un texte (dont le nombre de signes était également bien défini à l’avance) nourri de l’occupation de cette chambre et de leurs déambulations dans la ville. A ces trois textes s’est ajouté celui de Sophie Poirier, auteure vivant et travaillant à Bordeaux, qui a elle aussi raconté ces déambulations à sa façon.
Cela a donné, en ce dimanche matin, une lecture à haute voix en direct par les trois auteures invitées, parsemée de diffusion d’enregistrement de Sophie Poirier lisant des extraits de ses propres textes, le tout mis en espace par Sophie Robin. Ce fut un délicieux moment dans le Café Agora du Marché des Douves, comble comme un oeuf, silencieux et attentif comme une église.
Les quatre voix étaient différentes, aussi bien physiquement qu’émotionnellement et narrativement. Elles ont chacune raconté une ville singulière, des déambulations particulières et un rapport personnel au dispositif lui-même et à ses contraintes. J’ai tout à la fois retrouvé et redécouvert Bordeaux, cette ville que je chéris si fort. Mais ces textes disent aussi, tous, qu’en déambulant dans une ville, même sous contraintes, on finit toujours par ne déambuler qu’en soi-même. Nous projetons sur la ville nos ressentis et nos états d’âme du moment. La ville finit par habiter en nous et se confondre avec les ruelles de notre état d’être …
Au-delà de cette lecture, cette expérience Une chambre à écrire a donné naissance à un bel ouvrage éponyme édité par L’ire des marges. Il regroupe 6 petits cahiers :
– L’avant-propos et la présentation du projet
– Journal d’une passante de Michèle Lesbre
– tu écris dans ta tête de Juliette Mézenc
– Le jardinier des étangs de Dominique Sigaud
– Hortense, les mortes et la bibliothèque de Sophie Poirier
– La Maison Fredon – Quelques mots de l’hôte, Jean-Pierre Xiradakis (c’est dans la Maison Fredon, maison d’hôte, que se trouve la chambre successivement occupée par les auteures)
C’est un ouvrage aussi unique que le dispositif qui lui a donné naissance. Je vous le recommande.
« Je ne resterai pas dans cette chambre, quelques jours à peine. J’y suis pourtant en entier d’emblée. C’est une chambre faite pour ça. Toutes ne sont pas capables. Dans les minutes qui suivent mon entrée, je l’habite. J’aime ces chambres étrangères. »
Extrait de Le jardinier des étangs de Dominique Sigaud.
« Ainsi, nos trajets vont, parsemés de références : Histoire et Géographie. Des va-et-vient dans l’espace, le temps et les devoirs de mémoire.
Sauf là : l’arrêt de bus où tourner à droite pour rejoindre Darwin, c’est l’arrêt Hortense. Qui est Hortense ? »
Extrait de Hortense, les mortes et la bibliothèque de Sophie Poirier
– Plus d’informations sur le dispositif ici.
– L’expérience racontée sur son blog par Sophie Poirier ici.