Comme j’ai pu le dire dans un récent entretien avec le KLAC, pendant ma traversée du confinement, notamment pendant les premières semaines, l’écriture m’a désertée. Non pas qu’il ne se passait rien en moi et que je n’avais rien à dire, au contraire, il se passait très certainement trop de choses en moi, j’étais bien trop sidérée et bouleversée pour que mes pensées et mes mots puissent advenir de façon cohérente.
D’autre part, plus j’avance dans le temps, plus j’ai besoin de temps pour mûrir ma parole et dire ce que je veux dire exactement comme j’ai envie de le dire. Si je vis pleinement l’instant et dans l’instant, j’écris de plus en plus dans le temps.
Pendant les premières semaines de cette période si trouble, je n’ai donc pas écrit grand-chose. Ce qui m’a ramenée petit à petit aux mots, ce sont mes créations plastiques (cf. à nouveau l’entretien évoqué ci-dessus), puis la traduction.
Il y a plusieurs livres qui habitent mes étagères depuis plusieurs années et que je souhaiterais traduire et voir éditer en français. Je m’étais donc dit que cette période de confinement serait un moment propice pour faire avancer ces projets : réviser les extraits déjà traduits, choisir des extraits et en faire les premiers jets de traduction pour les projets auxquels je n’avais pas encore touché, commencer à repérer des maisons d’édition que ces projets pourraient intéresser. Il y avait largement de quoi m’occuper. Mais je ne parvenais pas à commencer.
C’est dans le courant de la troisième semaine de confinement qu’un ami éditeur m’a sollicitée pour un appel à traductions qui a éveillé mon intérêt. Les délais étaient tels que je ne pouvais pas faire autrement que de me mettre immédiatement au travail. Pendant une quinzaine de jours, je me suis quasi exclusivement consacrée à ce texte. Et au fur et à mesure que je le traduisais, que je posais mes mots en calque sur les mots de l’autrice du texte original, très beau, très poétique, ma propre poésie est lentement mais sûrement revenue. J’ai retrouvé la gourmandise et la délectation des heures de lune passées à noircir des feuilles blanches jusqu’aux premiers chants de l’aube.
Une fois la traduction de ce texte livrée (je vous en reparlerai dès que le projet sera publié), la faim était bien installée en moi. Il me fallait écritraduire ou tradécrire. J’ai saisi un recueil de textes, rencontré et lu entre stupeur et ravissement il y a un peu plus de deux ans, et dont j’avais déjà traduit deux extraits dans mes temps de loisir ces deux dernières années. Au départ, je pensais simplement réviser les traductions de ces deux textes et en traduire deux ou trois autres, afin de commencer à chercher une maison d’édition, en présentant ces extraits. Mais une fois lancée, je n’ai pas pu m’arrêter. Et une fois lancée, je me suis rendue compte que cela ne faisait, de toute façon, aucun sens de ne proposer que des extraits de ce livre à un.e éditeur.trice potentiel.le. C’est un livre qu’on ne peut décider de publier qu’en l’ayant reçu dans son intégralité, il a été conçu pour être appréhendé ainsi, même s’il est composé de textes qui peuvent paraître, au départ, indépendants les uns des autres, en-dehors de la thématique qui les lie. En un peu moins d’un mois, j’ai donc traduit ce livre in extenso. Bien sûr, il ne s’agit encore que d’un premier jet, que je retravaillerai en temps opportun, lorsque je lui aurai trouvé une maison d’édition francophone. Mais tout de même, je l’ai traduit en intégralité et ce fut un de mes grands œuvres de ce confinement. L’autrice de ce livre écrit aussi bien de la poésie, que des nouvelles, des romans, du théâtre, et tous ces genres traversent l’ouvrage en question. Dans une langue tout à la fois nouvelle, singulière et très poétique. La traduire n’a pas été, et ne sera pas, un exercice facile, mais cet exercice a énormément nourri et inspiré mes propres cheminements de poète.
C’est donc en traduisant A Brief Alphabet of Torture de Vi Khi Nao, qui est une exploration de la douleur et de la torture sous de multiples formes, que j’ai fini de me libérer des angoisses et démons qui m’ont tenu compagnie au début de ce confinement imposé, et que j’ai pleinement retrouvé mes voies-voix pour créécrire.
D’autre part, ce qui m’a permis de ne pas m’écrouler les tout premiers jours de confinement, puis de faire sereinement la transition depuis l’amorce du déconfinement, ce sont les dernières étapes de la relecture de ma traduction du livre de Noelle Q. de Jesus, les échanges d’une part avec la maison d’édition do, avec laquelle je suis vraiment ravie de collaborer ; d’autre part avec Noelle qui est désormais une véritable âme sœur en littérature. Le Passeport de Noelle paraîtra le 20 octobre 2020 et j’ai tellement hâte que ce livre fasse enfin connaissance avec vous.
Je reviendrai très vite vous parler de ces deux livres : Blood/Passeport, sur le point de voler de ses propres ailes en français, et A Brief Alphabet of Torture, qui amorce tout juste l’étape du cocon.
Ce que tout cela m’a appris, c’est que tout comme la lecture, la traduction est en soi un aliment et un combustible pour mon processus d’écriture poétique. J’ai appris que la traduction, tout comme la marche, est un exercice « mécanique » qui huile les rouages de l’inspiration et met en branle la créativité.
[…] bien sur le calendrier qu’au niveau du mercure. Mais, comme je vous l’ai indiqué dans une note récente, je lis et j’écris de plus en plus dans le temps. Nous vivons dans une société dans laquelle […]
[…] je l’évoquais dans une note précédente, c’est en traduisant ce texte que je me suis extirpée de la léthargie dans laquelle je […]