Il faut de la passion pour écrire de la poésie.
Il faut beaucoup de passion pour faire publier sa poésie.
Il faut énormément de passion pour lire la poésie des autres.
Il faut passionnément de passion pour éditer de la poésie.
Et il fallait un petit grain de folie poétique douce en plus pour lancer une maison d’édition de poésie en cet an vingt !
Eh bien, les deux fondateurs de la jeune maison Aux cailloux des chemins l’ont fait et nous, poètes et lecteurs.trices de poésie, les en remercions infiniment. Car s’il y a bien quelque chose dont nous avons besoin en ces temps incertains, c’est de semer nos vies de cailloux-poèmes pour ne pas nous perdre en chemin !
Faisons les présentations :
Les éditions Aux cailloux des Chemins ont vu le jour en 2020. Formées par l’association de deux amis désireux de porter des textes inédits et classiques, les éditions ont pour objectif de publier de la poésie, de la prose, de l’illustration et de la bande dessinée.
Prétexte à des rencontres entre artistes et entre auteurs avec leur public, chaque publication donnera lieu à des événements associés : lectures, rencontres avec les auteurs, en librairies, en divers lieux associatifs.
Les publications s’articulent pour le moment autour de deux collections :
– Nuits indormies : textes de poésie, illustrés ou pas
– Vu par : rencontres entre des plasticiens et des textes classiques
Depuis septembre, cette maison a publié trois titres dans la collection Nuits indormies, un pour chaque saison :
– User le bleu suivi de Sous la peau de Murièle Modély pour l’automne (septembre 2020)
– Combattant varié de Stéphane Bernard pour l’hiver (décembre 2020)
– Là où ici de Vincent Motard-Avargues pour le printemps (mars 2021)
Les livres sont sobres, élégants, mais leur petit format les rend facilement nomades. On peut les glisser dans un sac à main ou un tote bag pour des lectures tout-terrain, sur tous les chemins.
J’ai choisi d’entamer ma découverte de ce catalogue par le double-recueil de Murièle Modély. D’abord parce que c’est le premier titre publié par la maison, ensuite parce que c’est Murièle Modély. Cela fait déjà un certain nombre d’années que j’entends parler d’elle, que l’on me dit « Tu devrais la lire, ça devrait te parler, ça devrait te plaire », qu’elle et moi nous croisons lors de manifestations littéraires sans jamais parvenir à nous rencontrer, etc. Alors, oui, j’ai de temps à autre, fait une plongée dans son blog L’oeil bande et, à chaque fois, j’en ai émergé avec l’impression d’avoir gardé ses mots sur mon corps. Mais l’immersion dans un recueil, dans un double-recueil même, fut un autre voyage. Vous la connaissez, cette sensation que font germer les textes de certain.e.s auteurs.trices, celle de parler d’abord à votre chair, de vous traverser intimement avant d’aller frapper ou caresser votre cerveau ? Voilà, c’est ça que Murièle Modély m’a fait.
User le bleu sonde les abysses mortifères du monde du travail : hiérarchie, réunions, procédures, objectifs, compétition, soumission, résignation, maladie, arrêts de travail, dépressions, suicide, congés payés, du premier au dernier échelon, personne n’est vraiment épargné. Et la mort lente du goût d’exister. Et le silence violent des rêves sacrifiés.
Après le dehors d’User le bleu, le dedans de Sous la peau.
Sous la peau explore des cheminements plus personnels : la peau, sa couleur, qui renvoie au lieu de naissance qui n’est pas le lieu de résidence, qui rhizome en problématiques identitaires, en thématiques pigmentaires ; la famille ; l’être aimé ; et le corps, la bouche surtout, habités par tous ces soubresauts.
Dans ces deux recueils en yin-yang, la langue de Murièle Modély ne s’encombre pas de fioritures. Brute, crue et belle dans sa sincérité. Et cela m’a touchée, dans tous les sens.
aujourd’hui, tout le monde apprécie ça
ma bonne humeur plantée comme une pointe
au milieu du visage
même si certains se disent, me disent
que, bon, c’est facile – gènes / couleur / origine
c’est facile hein, quand on vient de là-bas
ce là-bas, tu sais, ce lieu non lieu
plein de soleil et de filles exotiques
ce lieu non lieu où le temps s’écoule lentement
dans la langueur et moiteur des nuits tropicales
j’ai ce sourire là – je dois l’avoir toujours sur moi
toujours contre l’étoffe bien lisse et repassé
posé sur la traînée grasse de mes tristesses
et violences contenues
Voilà des mots qui parlent fort, qui me parlent fort !
Quelle belle note de lecture, Patricia. La poésie de Murièle parfaitement cernée par ton œil, entendu par toutes les pores de ta peau.
Notre folie est une bien belle traversée poétique dans laquelle Hervé et moi naviguons avec tant de plaisir.
Une traversée que je suis ravie de partager 🙂
Merci pour ta lecture Patricia ! Et ton billet !
Je me souviens des mots d’Umberto Eco, la coopération textuelle, comment l’interaction se fonde entre texte, auteur et lecteur…
Devenir éditeur c’est ça aussi, je n’y avais pas pensé avant. Quand je suis poète, ma voix sort des tripes, folle et hasardeuse jusqu’à entrer dans des oreilles tendues vers la liberté d’être, ou non. Là, éditant, on fait le lien entre les oreilles et les bouches, pour sortir de l’ombre. « Ce que dit la bouche d’ombre », comme l’écrit Hugo.
« Nous avons, nous, voyants du ciel supérieur,
Le spectacle inouï de vos régions basses. »
Lyrisme en moins, supériorité retirée, hauteur toute dix-neuvième relativisée aujourd’hui, mais la voix est là, la tienne, celle des poètes, des lecteurs, des lectrices, mise en cornet par l’éditeur que nous avons eu le bonheur de devenir, au hasard et au plaisir des rencontres des êtres et des textes.
Bonnes lectures !
Merci encore !
Avec grand plaisir !