Lectures de juillet

Le 31 juillet 2021
Photo : Patricia Houéfa Grange

Cette photo représente la cabane de livres où je me suis réfugiée pendant la première quinzaine de juillet qui fut si orageuse.
Les livres, c’est l’un des seuls endroits où j’ai réellement envie d’être en ce moment, loin du tumulte insensé du monde.
Là, dans mon mini-jardin et les bras de mon aimé. Je crois que je vais y rester encore un moment.

Oui, il n’y a que de la poésie. Oui, il n’y a que des femmes.
Tous ces ouvrages ont été de bonne compagnie, mais j’ai eu un coup de cœur absolu pour Décomposée.
Voici quelques mots sur chacun d’entre eux dans l’ordre de lecture :

Les quatrains de l’all inclusive
Rim Battal
Le Castor Astral, 2021

C’est le premier ouvrage de Rim Battal que je lis et ce qui est certain, c’est qu’il est d’une grande puissance évocatrice.
Je l’ai lu dans un petit patio joliment aménagé en jardin au cœur des différents bâtiments du Centre François-Xavier Michelet, sur le site du CHU de Bordeaux Pellegrin. J’y avais accompagné une proche pour une consultation et j’ai parcouru ces quatrains en l’attendant.
Autant dire que même si le cadre était agréable, j’étais bien loin de tout ce qui peut ne serait-ce qu’évoquer un village de vacances. Et pourtant, je me suis immédiatement retrouvée projetée au bord d’une piscine de complexe hôtelier pour vacanciers amateurs d’offres forfaitaires.
Au départ, c’est le titre du recueil qui m’a attirée vers lui. Parce que j’adore les quatrains et que je déteste le concept de l‘all inclusive ! Cet intitulé tenait donc presque de l’oxymore pour moi !
Au final, il ne s’agit pas de quatrains classiques mais de pièces poétiques en quatre actes. Et Rim Battal a réussi à adoucir mon regard sur ces séjours tout compris. Certainement parce qu’ils ne sont ici qu’un prétexte. Pour parler du corps, des femmes, des corps de femmes. De la maternité, des rapports mère-fille d’une génération l’autre, du sex-appeal et de la sexualité de la mère de famille. Des souvenirs aigre-doux de l’enfance. Du vernis qui s’écaille sur les ongles comme sur les apparences de notre société. Du monde comme il ne va pas.
« Il n’y a pas de mauvais endroit » conclut la poétesse dans l’avant-avant dernier quatrain de ce recueil. C’est vrai, tant qu’on voyage avec la poésie qui est un lieu en soi, qui est un lieu à soi. Qu’on la tape des deux pouces sur un Iphone au bord de l’immense piscine d’un club de vacances, ou qu’on la lise en sirotant un café brûlant dans un gobelet en carton à l’hôpital.
Les dessins oniriques de Sarah Battaglia en noir et blanc sont de superbes ponctuations à cette lecture.

Photo : Patricia Houéfa Grange

Décomposée
Clémentine Beauvais
L’Iconopop, 2021

Moi la poète, je n’avais encore jamais lu de roman écrit intégralement en vers jusque là.
Moi l’amoureuse depuis l’adolescence des Fleurs du mal, particulièrement fascinée par Une charogne, je ne pouvais qu’être aimantée par ce livre-là.
J’en suis ressortie éblouie (et un peu jalouse, tellement j’aurais aimé l’avoir écrit !!!)
Il est de ces hybrides inclassables que je tendresse tant.
Roman et poème. Classique et moderne. Exigeant et page-turner. Exercice de style et pamphlet.
Il résonne délicieusement aussi bien en silence qu’à voix haute.
L’en-vers de la charogne dé-composée par Clémentine Beauvais est aussi un hymne empli de grâce à la féminité, au féminisme et à la sororité. Poétiquement actu-elle.

(Petite parenthèse pour vous dire que dans la collection L’Iconopop de L’Iconoclaste, j’ai également lu et énormément apprécié l’ardent Brûler, brûler, brûler de Lisette Lombé)

Noir volcan
Cécile Coulon
Le Castor Astral, 2020

J’ai découvert l’univers poétique (je n’ai pas [encore] lu ses romans) de Cécile Coulon, après tout le monde, au printemps cette année, avec son premier recueil Les Ronces.
Je n’avais pas su définir à ce moment-là ce qui m’avait retenue, sans que je puisse y opposer la moindre résistance, entre les pages de ce copieux volume. J’ai pu mettre des mots sur cette sensation en lisant la quatrième de couverture de ce deuxième opus : « Noir volcan, c’est mon lieu. […] J’ai écrit ces poèmes pour que chaque lecteur puisse trouver son noir volcan, et s’y sentir chez lui. »
Voilà, c’est cela. Noir volcan est un journal de petites scènes dans les décors desquelles je me sens chez moi. Au milieu de ces chats qui dorment sur les bords de fenêtres et des tartes qui y refroidissent, des feux qui fument dans les cheminées, des bières et du café. Au cœur de ces paysages qui ouvrent l’âme et de ces relations avec les autres, les étrangers, la famille, les proches, les aimé.e.s qui vous la tordent en tous sens, y compris heureusement ceux du plaisir et du bonheur. C’est une poésie qui berce l’être.
Il y a quelque chose de redoutablement paisible et de puissamment serein dans les mots et le style de Cécile Coulon. Telles les forces de la nature qui les sous-tendent, d’une violence fertile qui irradie. Ce recueil est un véritable manifeste de la douceur et de la tendresse. Je ne peux que citer le très beau Abîmer la douceur qui rappelle que « gentil » n’est pas un gros mot. Et je ne peux pas ne pas évoquer le poème de conclusion qui porte ce titre, La douceur, et qui répète en mantra que « ce qui compte, c’est la douceur ».

La vieille prodige
Brigitte Fontaine
Le Tripode, 2021

Même si l’autrice s’en dédie à plusieurs reprises en ces pages, cet ouvrage est bel et bien un journal de confinement en deux livres : Les fruits confits puis La vieille prodige.
Brigitte Fontaine y conte un double confinement qui transforme son corps en fruit confit dans la confiserie à deux étages de son appartement sur l’île de Saint-Louis à Paris. Le confinement imposé par L’Ange Exterminateur nommé Corona et celui infligé par l’âge exterminateur. C’est une plongée sans concession, mais pleine d’humour et d’auto-dérision, dans la vieillesse, la maladie et l’ennui. La sensation d’être prisonnière à la fois de ses murs et de son propre corps.
Et il s’agit bien cependant d’un conte, avec des personnages fantaisistes voire fantasques, un univers onirico-fantastique. C’est l’histoire de Zonzon/Fantaisie qui n’en peut plus de son épine dorsale cabossée et de son corps en miettes, voudrait redevenir enfant et le rester, et qui devant l’impossibilité de cette option, s’échappe en rêve des fruits confits pour s’envoler en vieille prodige car la vie est une mauvaise plaisanterie.

(Petite parenthèse pour dire que je trouve dommage le choix d’avoir mis le nom de l’autrice dans une taille de police bien plus importante que celle du titre sur la première de couverture, comme si on vendait davantage Brigitte Fontaine que son oeuvre. C’est dommage car ce recueil en prose mérite d’être davantage mis en avant)

The hill we climb
Amanda Gorman
Chatto & Windus, 2021

A moins de vous être totalement coupé du monde au début de l’an 21, vous avez forcément entendu parler d’Amanda Gorman. Soit parce que vous avez suivi en direct l’investiture de Joe Biden au cours de laquelle elle a déclamé le poème dont ce livre fait l’objet, soit parce que la traduction ultérieure de ce poème en de multiples langues a déclenché une avalanche de polémiques qui auront au moins eu la vertu de mettre en lumière le travail de traduction et de susciter d’intéressantes réflexions sur ce dernier.
Reste le texte, que j’avais déjà entendu dit par son autrice et qui est un très beau texte sur le chemin déjà parcouru et celui qui reste encore à dessiner. Pour les populations noires, mais aussi l’ensemble des « minorités » et des Etats-Unis, afin de pouvoir véritablement faire nation. Les mots vibrants de la jeune Amanda Gorman ont été écrits pour son pays, mais ils résonnent forcément dans bien des pays du monde occidental, voire du monde tout court. L’ensemble de nos nations sont des tissus d’identités diverses aux histoires et héritages complexes qui se sont bien trop entrelacés désormais pour faire autrement. Il nous faut continuer à gravir la colline ensemble, avec bienveillance.

J’ai lu le poème dans sa version originale (merci Bradley’s Bookshop) mais vous pouvez trouver une édition bilingue anglais/français sous le titre La colline que nous gravissons chez Fayard, dans la traduction de Lous and the Yakuza.

Home Body
Rupi Kaur
Simon & Schuster 2020

Je vous avais déjà parlé de Rupi Kaur il y a quelques années quand j’étais tombée en amour de milk and honey/lait et miel. A l’époque, je concluais ainsi ma note de lecture : « Je souhaite à présent lire ce livre dans sa version originale, en anglais, et découvrir le nouvel opus de Rupi Kaur, the sun and her flowers. Depuis, j’ai offert la traduction française de milk and honey à ma nièce. Et j’ai racheté le recueil dans sa version originale. Je suis devenue une quasi inconditionnelle de Rupi Kaur. Je la lis sur son compte Instagram. the sun and her flowers est venu s’adosser à milk and honey sur mes étagères, et home body vient de les y rejoindre.
Les mots et la poésie de Rupi Kaur poursuivent leur oeuvre de soins et de guérison du cœur, du corps et de l’âme. Chaque recueil est construit en plusieurs parties qui cheminent symboliquement de l’étiolement jusqu’au moment où on se relève, en passant par la chute et le temps passé à se rétablir. Que ce soit après une rupture amoureuse ou amicale, après une dépression ou après toute autre épreuve qui abîme l’âme.
On pourrait dire qu’il s’agit de développement personnel mis en vers. Peut-être. Mais cela va bien au-delà et s’enracine en baume profond dans tout l’être.
Rupi Kaur est également de plus en plus active pour porter haut la voix des Sikhs.

Vous pouvez trouver la version française publiée sous le même titre chez NiL, dans la traduction de Sabine Rolland.
(Petite parenthèse, l’ultime, pour dire que je trouve dommage de ne pas avoir traduit ici le titre en français. Il me semble que Mon corps, ma maison aurait pu fonctionner. Mais ce n’est que ma vision personnelle)



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