Lézardes

Le 14 avril 2017

Lézardes
Nouvelles de Beata Umubyeyi Mairesse
La Cheminante, 2017

Il y a une semaine, le 7 avril, nous commémorions le triste 23ème anniversaire du début du génocide des Tutsi au Rwanda, génocide qui dura 100 jours et fit près d’un million de morts. Il y a une semaine également, j’achevais la lecture des Lézardes de Beata Umubyeyi Mairesse.
Si la lecture d’Ejo, son premier recueil de nouvelles m’avait sonnée, celle de ces Lézardes m’a saisie.

Les deux recueils « jouent » de façon vertigineuse avec l’espace-temps. Ejo parlait de l’avant et de l’après génocide, en se focalisant sur les femmes et leurs corps. Lézardes est centré sur les enfants et se déploie sur plusieurs décennies, des années 1980 aux années 2070.

Quinze nouvelles et trois fables où plusieurs vies et destins se croisent, s’entremêlent, d’un texte l’autre, d’une époque l’autre. Comme dans les contes, on y retrouve parfois de la candeur, de la fraîcheur, de l’innocence ; comme dans les contes, on y trouve aussi de la violence et de l’indicible (littéralement dans Volcano Express où l’un des personnages ne parle plus) et parfois un peu de surnaturel et de magie.

Quinze nouvelles et trois fables qui suivent ceux qui étaient enfants au moment du génocide et qui, pour certains, sont devenus parents, puis grands-parents pour quelques-uns. Il est vrai que pour chacun de nous, l’enfance est un pays perdu et que nous sommes tous des exilés de ce pays. Mais c’est très certainement encore plus vrai quand cette enfance vous a été volée si brutalement, si douloureusement, et qu’avec elle, votre pays aussi vous a été enlevé. En effet, on ne peut pas se voiler la face, le Rwanda d’avant le génocide est bel et bien mort et ne pourra plus exister. Et c’est de ce Rwanda-là que l’auteure semble faire le deuil à travers ces textes, en scandant notamment ce « Harabaye, ntihakabe. Il y avait, qu’il n’y ait plus » qui intitule les trois fables du recueil.

Mais si le recueil de Beata Umubyeyi Mairesse est lucide, sans concession, voire cynique (comme elle le reconnaît elle-même dans son avant-propos), il n’est pas dénué d’espoir. Comme dans ces lumineux Voyages de Claver :

« Claver rêve qu’un jour il ira danser de par le monde. Il prendra l’avion, comme on prend un bateau dans un pays sans mer, il ira raconter sa ville, avec ses pieds. Et avec son corps tout entier, il dira le violent ressac de la vie, dès l’aube. »

Et il en faut de l’espoir, de la foi, de l’abandon à ce « violent ressac de la vie », pour donner la vie à son tour, faire des enfants, quand on est devenu adulte bien trop vite, en ayant été témoin de tout ce qu’un être humain peut faire de plus innommable à un autre être humain. Il en faut de l’espoir et de la foi pour faire des enfants qui grandiront aux côtés de ceux des bourreaux, pour reconstruire et réapprendre à vivre ensemble. Car le « violent ressac de la vie » est là qui, « dès l’aube », crie, comme à la fin de chacune des fables du recueil : « Sinjye wahera umugani ! Que ce ne soit pas ma fin mais celle du conte ! »

Je ne peux pas clore cette note de lecture sans rendre à nouveau hommage aux talents de tisseuse d’histoire de Beata Umubyeyi Mairesse. Le style est toujours ciselé, sans fioriture inutile, retenu et pourtant convoque l’émotion. Et on suit, bouleversé, les chemins entrecroisés des vies d’Alice, Malaïka, Raya, Safari, Julienne, Petite, Tereza … Pour ma part, j’ai une tendresse particulière pour la nouvelle Ready or not qui m’a profondément touchée. Nouvelle à la fin de laquelle la petite Nina fait sortir sa mère de sa cachette et l’aide à se relever. Toute une symbolique.



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