Quand on a choisi de s’appeler Jentayu, un nom faisant référence à un animal mythique qui vole dans le Ramayana, on finit forcément par consacrer un de ses numéros à l’animalité. La huitième édition de la revue Jentayu a pour thème « Animal », un numéro consacré au monde animal, réel ou imaginaire, aux rencontres et interactions entre membres de diverses espèces – humaine y compris – et à leurs représentations naturalistes, poétiques ou fantastiques dans les littératures d’Asie.
Pour ce numéro, Jérôme Bouchaud, Directeur de publication de la revue, m’a proposé de traduire Here comes the sun de Yeo Wei Wei, auteure singapourienne. Après avoir lu cette très jolie et poétique nouvelle, qui a fait résonner de multiples échos et m’a ouvert de nombreuses portes de réflexion, j’ai accepté cette traduction avec beaucoup d’enthousiasme.
Here comes the sun est extrait du recueil These foolish things & other stories, publié à Singapour par Ethos Books en 2015. (Pour rappel, Ethos est aussi l’éditeur de Noelle Q. de Jesus que j’ai également traduite).
En avant-goût, vous pouvez lire l’entretien avec l’auteure, que j’ai également traduit.
C’est un joli bestiaire que la revue Jentayu a élaboré pour ses lecteurs cet été, en commençant par l’édito qui nous invite à découvrir et explorer les frontières parfois perméables entre mondes humain et animal, est-ce l’auteur qui invente l’animal ou l’animal qui crée l’auteur ?
Voici quinze pistes pour (peut-être) trouver la réponse à cette question :
La nouvelle Le chien de garde de l’écrivain tibétain Tagbumgyal, ou Takbum Gyal (སྟག་འབུམ་རྒྱལ།), (traduction : Véronique Gossot). Tagbumgyal est né en Amdo, région nord-est du Tibet, actuel Qinghai. Né en 1966, au début de la Révolution culturelle, il a passé son enfance dans un environnement de pasteurs nomades. Conjointement à un poste de professeur de tibétain dans le secondaire, il écrit depuis trente ans et est l’auteur de deux romans et plus de 70 nouvelles dont la plupart ont été publiées dans des revues littéraires tibétaines de renom puis rééditées sous forme de recueils. Il est considéré, tant par les critiques littéraires et les auteurs tibétains que par les chercheurs en littérature tibétaine, comme un acteur majeur de la scène littéraire tibétaine. Il a surtout été traduit en chinois et en japonais, mais aussi en allemand, en anglais et en français.
Deux textes encore inédits de l’écrivain turc Murathan Mungan, Le cerf et Maroquin (traduction : Sylvain Cavaillès). Né en 1955 à Istanbul, originaire d’une famille arabo-kurde du côté paternel et bosniaque du côté maternel, Murathan Mungan a grandi à Mardin, dans le Kurdistan turc. Dès ses débuts au tout début des années 1980, il s’est illustré brillamment dans tous les genres : théâtre, poésie, essai et fiction, et il est aujourd’hui considéré comme l’un des écrivains majeurs de la Turquie contemporaine, plébiscité par le public et respecté par la critique. Entre 2003 et 2011, les éditions Actes Sud ont publié trois de ses recueils de nouvelles : Quarante Chambres aux trois miroirs, Tchador et Les Gants et autres nouvelles, traduits par Alfred Depeyrat pour le premier et Jean Descat pour les deux autres. En 2018, Kontr Éditions publie la pièce de théâtre Taziye, le recueil de nouvelles minimales Allumettes et le recueil de nouvelles autobiographiques Les Djinns de l’argent, tous traduits ou co-traduits par Sylvain Cavaillès, qui a également traduit Le Dernier Istanbul.
La nouvelle L’appel du sáo (traduction : Danh Thành Do-Hurinville) de l’écrivaine vietnamienne Bích Ngân. Bích Ngân est née en 1960 dans la province de Cà Mau, à la pointe sud du Vietnam. Diplômée de l’Université des langues et de littérature de Hô-Chi-Minh-Ville, elle est entrée en littérature en 1985 et a depuis publié de nombreux recueils de nouvelles et romans, tout en signant quelques scénarios de films et de bandes dessinées. Ses écrits, dont l’action se déroule souvent dans son Sud natal, ont été récompensés à plusieurs reprises et elle est une membre active de l’Association des écrivains du Vietnam.
Dix courts récits de l’écrivain malaisien Zedeck Siew, extraits du recueil illustré Créatures des royaumes contigus (traduction : Brigitte Bresson). Zedeck Siew est un jeune auteur anglophone installé à Port Dickson, petite ville balnéaire sur la côte occidentale de la péninsule malaisienne. Il a exercé en tant que journaliste, éditeur et créateur de jeux de société. Il écrit des fictions courtes en anglais et traduit aussi depuis le malais. À la frontière entre fantasy, histoire et zoologie, son premier livre Creatures of Near Kingdoms a été réalisé en collaboration avec l’artiste Sharon Chin et est sur le point de paraître chez Maplé Comics. Il blogue sur http://zedecksiew.tumblr.com.
La nouvelle Les Héritiers légitimes de la Terre de l’écrivain indien de langue malayalam Vaikom Muhammad Basheer (traduction : Dominique Vitalyos), inédite en français jusqu’à présent. Vaikom Muhammad Basheer (1908-1994) est né à Vaikom, au Kerala. À l’adolescence, il s’échappe de chez ses parents afin de participer au mouvement de lutte pour l’Indépendance de l’Inde. Il connaît la prison pour ses positions et activités politiques, puis passe de nombreuses années à voyager à travers toute l’Inde, côtoyant sages hindous et mystiques soufis. Il est l’un des écrivains les plus importants de la littérature malayalam contemporaine, dont l’existence a suivi de près la trajectoire mouvementée de son pays en chemin vers l’Indépendance. Et l’auteur de très nombreuses nouvelles et plusieurs romans courts, dont certains ont été publiés en français chez Zulma Éditions. Le gouvernement indien lui a attribué le prestigieux prix Padmashri en 1982.
La nouvelle Chenilles de l’écrivaine chinoise Xu Yigua (traduction : Brigitte Duzan). Xu Yigua (须一瓜) est née, selon ses dires, « dans les années 1960 ». Elle a travaillé dans le secteur des télécommunications et de la publicité, puis elle est devenue journaliste. Aujourd’hui, elle vit à Xiamen, dans le sud-est du Fujian, où elle a longtemps été chroniqueuse judiciaire du journal Xiamen Evening News. Elle a commencé par écrire des nouvelles très courtes dans les années 1990, puis elle a arrêté pendant près de dix ans. Depuis 2004, elle a publié plusieurs recueils de nouvelles, la majorité de longueur moyenne, avant de passer au roman en 2010. Elle a connu un grand succès avec son troisième roman, Masques blancs. Quant à son premier roman, Taches solaires, il a récemment été adapté au cinéma par le réalisateur Cao Baoping.
La nouvelle Les chiens de Dolphin Lane de l’écrivain bangladais Wasi Ahmed (traduction : Marielle Morin). Wasi Ahmed (ওয়াসি আহমেদ) est né en 1954 à Sylhet, au Bangladesh. Diplômé d’une maîtrise de littérature anglaise de l’Université de Dacca, il écrit aussi bien en bengali qu’en anglais. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de romans en bengali, et traduit aussi des textes littéraires de l’anglais vers le bengali et vice-versa. En 2016, il a été convié à participer au International Writers’ Program de l’Université d’Iowa, aux États-Unis. Par ailleurs, il contribue régulièrement au quotidien Financial Express par des chroniques littéraires et des tribunes économiques.
La nouvelle Les pigeons et le vieil homme de l’écrivain thaïlandais Vieng-Vachira Buason (traduction : Marcel Barang). Vieng-Vachira Buason (เวียง-วชิระ บัวสนธ์), né en 1960 dans la province de Phitsanulok, dans le nord de la Thaïlande, a fondé et dirige la maison d’édition สำนักพิมพ์สามัญชน | samanchonbooks (L’homme ordinaire), qui publie des ouvrages littéraires thaïs et étrangers en traduction. Personnalité influente, il répond dans le milieu des lettres à l’appellation affectueuse de Don Viang. Curieusement, s’il trouve le temps d’écrire des nouvelles (rarement courtes mais toujours corrosives), il ne semble pas éprouver le besoin de les publier en recueils.
La nouvelle La domestication de l’écrivaine ouzbèke Vika Osadtchenko (traduction : Filip Noubel). Vika Osadtchenko (Вика Осадченко) fait partie d’une nouvelle génération d’auteurs ouzbeks qui ont créé à Tachkent un courant littéraire indépendant revendiquant une identité à la fois russophone et nettement post-soviétique qui se différencie également de la littérature écrite en Russie. Née en 1980 dans les dernières années de la période soviétique, elle entreprend des études de journalisme à Tachkent et participe très tôt à de nombreux festivals de poésie. Membre de l’Union des écrivains d’Ouzbékistan depuis 2006, elle a publié cinq recueils de poésie dont certains poèmes ont été republiés dans des revues littéraires russophones en Ouzbékistan, en Russie, au Kazakhstan, en Moldavie et aux États-Unis. Plus récemment, elle s’est mise à écrire de la prose. Depuis 2017 elle collabore avec un collectif d’écrivains et poètes tachkentois à Litera, un projet du théâtre d’avant-garde Ilkhom qui retrace la vie et l’oeuvre d’écrivains célèbres qui ont vécu à Tachkent, comme Akhmatova et Tsvétaïéva.
Trois poèmes du poète chinois Hu Xudong, Baleines à bosse, La rive et Sauterelles (traduction : Camille Brantes). Hu Xudong (胡续冬) est né en 1974 à Chongqing, en Chine. En 1991, il est admis à Beida, l’Université de Pékin où, tout en commençant son travail d’écriture, il obtiendra successivement une maîtrise en littérature comparée et un doctorat en littérature chinoise contemporaine. Il fait partie de cette génération de poètes chinois qui ont passé beaucoup de temps à l’étranger et qui incorporent la distance du voyage dans leur poésie, réactualisant ainsi — dans une forme critique et souvent surréaliste — une thématique récurrente de la poésie chinoise classique : la mélancolie du pays natal. Le travail de Hu Xudong a été traduit en plusieurs langues, majoritairement en anglais et en espagnol. Son œuvre est à ce jour inédite en français.
Trois poèmes du poète mongol G. Mend-Ooyo, Les grues – Ballade, L’assemblée des gazelles et Les hirondelles (traduction : Raphaël Blanchier). G. Mend-Ooyo (Г.Мэнд-Ооёо), poète de la steppe mongole, a publié une quarantaine de recueils de poésie, d’essais et de fiction. À ce jour, ses écrits ont été traduits en près de quarante langues, dont le français. En tant que président de l’Académie de la culture et de la poésie de Mongolie, il est très impliqué dans la protection du patrimoine artistique de son pays. Pour rappel, G. Mend-Ooyo avait déjà participé au premier numéro de Jentayu, « Jeunesse et Identité(s) », avec son poème La mélodie des pierres.
La nouvelle Here comes the sun de l’écrivaine et traductrice singapourienne Yeo Wei Wei (traduction : Patricia Houéfa Grange). Yeo Wei Wei a étudié la littérature anglaise à l’Université de York, au Royaume-Uni, et a présenté sa thèse de doctorat à l’Université de Cambridge sur Dante et les Rossetti. Elle est par ailleurs diplômée du programme de création littéraire de l’Université d’East Anglia. Suite à la parution d’un premier recueil de nouvelles, These Foolish Things and Other Stories (Ethos Books, Singapour, 2015), elle travaille aujourd’hui à son premier roman et se plaît aussi à traduire des textes littéraires du chinois vers l’anglais. Elle réside à Singapour avec son chien, M. Max.
Des extraits du roman L’esprit-renard de l’écrivain chinois Huabu (traduction : Solange Cruveillé). Huabu (花布, littéralement « Tissu fleuri »), de son vrai nom Jia Wei (贾炜), est un jeune écrivain chinois résidant à Shijiazhuang, dans la province du Hebei. Considéré comme un auteur incontournable de romans à suspense, il mêle avec brio dans ses histoires intrigue et surnaturel. Parmi ses œuvres représentatives : Ne leur fais pas confiance (2011), L’esprit-renard (2011), et Le vieil établissement scolaire (2012).
La nouvelle Un poisson qui écrivait des romans de l’écrivain taïwanais Hung Hung (traduction : Matthieu Kolatte et ses étudiants). Hung Hung (鴻鴻) est né en 1964 à Tainan, dans le sud de Taïwan. Poète, réalisateur, metteur en scène de théâtre, scénariste, il est l’auteur d’une œuvre riche et variée. Récompensé de nombreuses distinctions, dont le prix du meilleur scénario au Festival du Cheval d’or de Taipei en 1991, le prix de la mise en scène de la Ville de Nantes au Festival des 3 continents en 1999 ou encore le prix taïwanais de littérature Wu San-lien en 2013, Hung Hung compte comme l’une des figures majeures de la scène artistique de l’île. Son premier recueil de poésie traduit en français, Le passe-muraille (trad. Camille Loivier), est paru à l’été 2018, aux éditions Circé.
Un extrait intitulé Quatrième souvenir : La première pierre (traduction : Pierre-Mong Lim), tiré du roman La pluie tombe : souvenirs d’enfance de Bornéo de l’écrivain malaisien – et longtemps installé à Taïwan – Li Yongping. Li Yongping (李永平, 1947-2017) est né en Malaisie à Kuching, au nord-ouest de l’île de Bornéo, où il passe son enfance avant d’émigrer à Taïwan en 1967 où il devient professeur. Il démissionne de toutes ses fonctions en 1987, après avoir publié son premier roman, Les printemps et automnes de Jiling, pour se consacrer à l’écriture et à la traduction. Son œuvre comprend un recueil de nouvelles de jeunesse, six romans, et une anthologie. Son œuvre romanesque lui a valu l’attention continue des lecteurs et de la critique, ainsi que des comparaisons avec Shen Congwen et Mo Yan. Il est décédé en octobre 2017 à Taipei. Cette toute première traduction en langue française est une sorte d’hommage, certes tardif, à un écrivain exigeant qui aurait sans doute mérité d’être mieux connu et davantage traduit de son vivant.
En plus de la vingtaine de textes en traduction retenus pour ce numéro, vous pourrez aussi savourer le tendre et nécessaire essai photographique Au Laos, les animaux et leurs maîtres, du photographe singapourien Ernest Goh. Ernest est un artiste visuel dont les travaux se concentrent sur les relations écologiques. Sa fascination pour le monde naturel a commencé dès son plus jeune âge, dans le village de sa grand-mère, à Singapour. Il a d’abord exercé ses talents comme photojournaliste pour le Straits Times, puis en freelance pour diverses publications internationales. Ses portraits animaliers lui ont valu d’être exposé dans plusieurs galeries et musées à travers le monde. Ils ont été publiés dans The Fish Book (2011), Cocks (2013) et The Gift Book (2014). Trois de ses clichés de coqs ornent même les couvertures de trois ouvrages de Michel Onfray parus aux Éditions de l’Observatoire. Ernest est par ailleurs le fondateur et directeur artistique de The Animal Book, une structure qui travaille avec des groupes de défense des animaux via les arts et le design.
En plus de la vingtaine de textes en traduction retenus pour ce numéro, vous pourrez aussi vous délecter, pour chaque nouvelle, des illustrations pleines de justesse et d’humour de la géniale Sharon Chin. Sharon est une artiste et illustratrice malaisienne. Elle réalise des peintures, des performances, des costumes, des installations et des vidéos. Ses travaux ont été exposés dans divers musées et galeries, en pleine rue et dans des centres commerciaux, en Malaisie et ailleurs dans le monde. Elle a par ailleurs réalisé toutes les illustrations pour le recueil Creatures of Near Kingdoms, de Zedeck Siew, à paraître chez Maplé Comics et dont Jentayu publie de larges extraits dans son numéro (traduction : Brigitte Bresson). Pour Jentayu, Sharon s’est servi d’un matériel très simple lui rappelant les bancs d’école de son enfance : des pastels à huile de la marque Buncho. Ses œuvres et réflexions sont à découvrir sur son site (www.sharonchin.com).
Voilà, vous savez tout ! Il ne vous reste plus qu’à adopter cet animal dont la compagnie s’annonce particulièrement édifiante ! Et n’hésitez pas, si ce n’est pas encore fait, à explorer tous les autres thèmes qui ont été survolés par les ailes du fougueux Jentayu !
Oh Patricia, quel bel hommage à cet Animal ! Le livre est magnifique, les illustrations splendides et le contenu écrit… il me reste encore à le découvrir… car je n’ai le livre que depuis hier.
Je suis comme toi, je ne l’ai pas encore lu, je ne connais que la nouvelle que j’ai traduite 🙂 Mais graphiquement, il est très réussi, une fois de plus 🙂